07 Juil Effectuation et causation : des approches complémentaires pour innover, entreprendre et intraprendre
Le point de départ à toute aventure entrepreneuriale ou intrapreneuriale, création d’entreprise ou d’innovation, réside dans l’envie d’entreprendre, d’intraprendre et de créer. Que ce soit pour fonder une entreprise ou élaborer un produit, la finalité demeure la même : le succès, qu’il soit lucratif ou réponde à d’autres inspirations, idéaux, gain d’efficacité… Dans tous les cas, porter un projet ne se fait généralement pas au hasard. Cela correspond à une volonté d’action, d’amélioration ou de satisfaction. Entre l’idée de départ et l’aboutissement, plusieurs approches peuvent être utilisées.
Afin d’augmenter ses chances de réussite dans le développement de son projet, il est intéressant de connaître ces différentes approches. Cela permet d’être en mesure d’opter pour la plus en adéquation avec son projet, mais surtout avec le contexte, tant en processus d’innovation qu’en création d’entreprise.
Aujourd’hui, nous vous présentons deux de ces approches pour innover et entreprendre/intraprendre, c’est-à-dire deux démarches que l’on peut suivre depuis l’idée jusqu’à la finalité du projet, ou du moins à un moment du processus. Il sera ensuite question d’appréhender dans quelle mesure les approches causales et effectuales peuvent se révéler complémentaires.
La logique causale : atteindre un objectif dans un avenir prévu
Dans cette approche classique de causation, le point de départ consiste à définir un objectif à atteindre. Le porteur de projet fixe son objectif, puis il va rassembler et mettre en œuvre des ressources et moyens nécessaires pour y parvenir. Il va ainsi élaborer une trajectoire optimale pour atteindre le but fixé.
Cette démarche est souvent suivie par les grandes organisations pour la gestion de leurs projets. Un objectif est fixé et les étapes calées dans un univers relativement connu, maîtrisé et stable. Cette logique s’applique tout autant dans les PME qui développent des projets dans un secteur économique traditionnel dont on connait les repères. Par exemple, dans le cas de l’implantation d’une boulangerie il est possible de connaître à l’avance la zone de chalandise, la concurrence présente, etc. puis de définir comme objectif un chiffre d’affaire cohérent avec les résultats de ces derniers paramètres.
Les startups, même si elles fonctionnent moins fréquemment avec cette approche, vont quand même devoir parfois utiliser la démarche causale, notamment à la demande des financeurs. Ces derniers demandent une étude de marché, un prévisionnel, un business plan, bref des objectifs à atteindre pour lesquels ils mettront un certain nombre de moyens financiers en espérant un potentiel retour sur investissement. Cependant, dans le cadre spécifique de la vraie vie de la startup, des opportunités apparaissent tandis que les ressources manquent ce qui induit des modifications d’objectif et de « plan ». Il leur est donc souvent nécessaire de suivre une autre logique.
Que ce soit les grands groupes, les PME ou les startups, dans le cas du lancement de projets ou produits innovants et de rupture, comment procéder lorsqu’il n’y a encore ni marché, ni clients identifiés, donc un avenir indéterminé ? Et comment faire lorsque l’envie d’entreprendre et de créer une startup se fait sentir mais que la pertinence du projet demeure floue, c’est-à-dire lorsque l’on ne peut confirmer si l’offre ou le produit répondent à un besoin, à une demande ? La même question se pose dans un grand groupe pour savoir s’il faut ou non allouer des ressources à un projet sans garanti de résultat et rentabilité. Et comment faire lorsque le projet intrapreneurial est engagé mais que les ressources humaines ou financières ne suivent pas ?
La logique effectuale : innover dans l’incertitude
L’approche effectuale a été théorisée que relativement récemment, en 2001 par la chercheuse Saras Sarasvathy, mais ses principes n’en demeurent pas moins utilisés depuis beaucoup plus longtemps. En effet, S. Sarasvathy a étudié comment des entrepreneurs majeurs de leurs secteurs prenaient leurs décisions et comment ils avaient réussi.
Sarasvathy a identifié cinq grands principes que tous avaient suivis, sans même en être pleinement conscients :
- L’entrepreneur démarre avec les ressources dont il dispose et quilui permettentde fixer des objectifs.
- Il résonne en perte acceptable, c’est-à-dire qu’il sait à l’avance ce qu’il peut perdre tout en l’acceptant.
- Il diffuse son projet et parle de ses idées à des personnes pouvant potentiellement l’aidermême si son projet est encore flou et non abouti.Ainsi il vise à augmenter les moyens – de personnes et de compétences − à sa disposition.
- Il s’adapte et essaye de tirer bénéfice de tous les imprévus, qu’ils soient bons ou mauvais.
- L’entrepreneurcherche à agir dans son environnement. Il s’active à essayer de le faire évoluer : rien n’est figé, tout est possible.Il vise à créer et à transformer son secteur.
Finalement, l’approche effectuale peut se résumer ainsi : on fait avec toutes les ressources disponibles que l’on a et que l’on cherche à augmenter à chaque avancée, plutôt que d’imaginer ce que l’on pourrait faire si l’on avait d’autres moyens.
L’effectuation et la causation, une complémentarité ?
Sur le papier, l’approche causale et l’approche effectuale s’opposent presque en tous points, comme le résume ce tableau comparatif :
Tableau issu de Sarrouy-Watkins Nathalie, Hernandez Émile-Michel, « L’incertitude entrepreneuriale et la théorie de l’effectuation : le cas Logiperf », Gestion 2000, 2015/3 (Volume 32), p. 67-90.
Pourtant, nous proposons de ne pas les opposer mais au contraire de savoir en jouer en fonction des projets ou actions à réaliser. Pour faire un parallèle avec l’actualité, la crise sanitaire que nous traversons était difficile à prévoir il y a quelques mois. Elle bouleverse les plans de nombreux acteurs économiques en les forçant à adapter leur projet ou revoir leur organisation, aujourd’hui mais aussi pour les prochains mois. Ceux qui ont suivi une démarche plus orientée vers l’effectuation ont été plus enclins à trouver des moyens de s’adapter voire des opportunités dans ce contexte perturbé et incertain.
Il y a forcément un écart entre la théorie et la pratique, la réalité est évidemment toujours plus complexe. Malgré la promesse de certains auteurs ou éditeurs de vendre la recette miracle du succès entrepreneurial ou intrapreneurial (si elle existait réellement, ça se saurait !), aucune de ces deux approches n’offre des résultats garantis. Elles doivent être adaptées au cas par cas et se révèlent souvent complémentaires selon la phase du projet.
Plus que l’approche, c’est finalement l’utilisation combiné des deux approches qui s’avère être la meilleure solution pour mener un projet avec succès. La capacité entrepreneuriale ou intrapreneuriale sera encore amélioré et plus efficace lorsque l’on est en mesure de savoir quand, et comment, alterner entre l’une et l’autre selon le contexte (opportunités, ressources, etc.) et les spécificités de projet.
De plus, d’innombrables autres paramètres sont à prendre en compte pour entreprendre ou intraprendre avec succès, comme ceux que nous vous présentons dans nos articles à l’instar de savoir bien s’entourer « Intrapreneuriat : à la recherche du mouton à cinq pattes » ou d’adopter le bon état d’esprit « Dirigeants : face aux incertitudes actuelles, tenues d’entrepreneur préconisée. »